Imaginez un bâtiment qui vous frappe dès le premier regard : un bloc de béton massif, des lignes franches, une présence presque « brutale ». Vous êtes face à ce qu’on appelle l’architecture brutaliste. Née dans un contexte d’après-guerre, elle se démarque par ses formes géométriques, l’exposition sans détour de la structure, et un usage caractéristique du béton brut.
Pourtant, ce style souvent décrié pour son apparence austère possède une profondeur insoupçonnée. Derrière chaque façade anguleuse, on trouve une réflexion sociale, un désir de construire vite et bien, et une recherche d’authenticité qui résonne encore aujourd’hui.
Dans cet article, vous allez découvrir :
– Qui a créé le brutalisme et pourquoi ce style s’est imposé si vite.
– Qu’est-ce qui fait qu’un bâtiment est brutaliste et comment reconnaître ses caractéristiques.
– L’influence de ce mouvement à travers le monde (France, Londres, URSS…) et son impact dans la culture design (notamment autour de la chaise brutaliste).
– Les raisons du regain d’intérêt actuel et l’importance de sa préservation.
Entrons tout de suite dans cet univers où la forme massive rejoint l’esthétique minimaliste et la fonctionnalité urbaine.
Qui a créé le brutalisme ?
Située en Valais, l’église Saint-Nicolas d’Hérémence s’impose sans conteste comme l’une des plus belles réalisations brutalistes du XXᵉ siècle. Conçue par Walter Maria Förderer, sa construction s’est achevée en 1971.
La première idée que l’on se fait du brutalisme est souvent associée à Le Corbusier, grand maître de l’architecture moderne. Son usage du « béton brut » — le fameux béton laissé tel quel après décoffrage — a ouvert la voie à de nouvelles expérimentations. Pourtant, parler de « création » du brutalisme exige de revenir sur quelques figures clés :
Alison et Peter Smithson, jeunes architectes anglais :
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- Dès les années 1950, ils cherchent à formuler une réponse franche et directe aux styles lisses du Mouvement moderne.
- Leur projet d’école à Hunstanton (Angleterre) est souvent considéré comme le premier manifeste réel du brutalisme.
Reyner Banham, critique d’architecture :
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- Il popularise le terme « The New Brutalism » dans un article en 1955, puis dans son livre de 1966.
- Il définit trois points essentiels : image mémorable, structure lisible, matériaux “comme trouvés”.
Le Corbusier (pour la France) :
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- Même s’il ne se revendique pas « brutaliste », ses Unités d’Habitation (Marseille, 1947-1952) et autres projets influencent fortement le mouvement.
En résumé, l’origine du brutalisme se situe entre la France de l’après-guerre (avec le béton brut de Le Corbusier) et l’Angleterre des années 1950 (où les Smithson donnent un cadre plus radical et social à l’architecture brutaliste). L’architecture brutaliste qui en découle va vite franchir les frontières, trouvant des échos en URSS, au Japon ou encore en Amérique latine.
Qu’est-ce qui fait qu’un bâtiment est brutaliste ?
Si vous vous posez cette question, c’est que vous avez déjà en tête quelques images de blocs de béton imposants. Pourtant, le brutalisme ne se limite pas à la simple utilisation du béton. Trois ingrédients majeurs sont à retenir :
1. Le béton brut
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- L’ossature n’est pas maquillée ni polie. On voit clairement les marques du coffrage.
- Cette matérialité “comme trouvée” évoque l’authenticité brute, parfois perçue comme “froide”, mais aussi percutante.
2. La structure exposée
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- Les éléments porteurs se devinent au premier coup d’œil : poutres, poteaux, piliers.
- Les fonctionnalités internes (escaliers, circulations, gaines techniques) sont parfois mises en avant, sans fioritures.
3. Des volumes massifs et géométriques
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- Formes souvent orthogonales, parfois audacieuses (énormes porte-à-faux, façades monolithiques).
- L’échelle du projet peut impressionner (cités radieuses, complexes universitaires, etc.).
Ce sont ces « caractéristiques de l’architecture brutaliste » qui la rendent aisément reconnaissable. Elles tranchent avec les façades lisses typiques de l’international style des années 1930-1940. Le brutalisme est souvent associé à l’engagement social, car de nombreux édifices brutalistes ont été construits pour du logement public, des universités ou des équipements culturels.
Le brutalisme en France
L’Unité d’Habitation de Marseille par Le Corbusier
L’Architecture brutaliste en France : Le pays a largement accueilli ce style après-guerre, notamment sous l’influence de Le Corbusier. Citons deux exemples :
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L’Unité d’Habitation de Marseille (1952) :
Avec ses “pilotis” et sa façade en béton, c’est un véritable symbole de “béton brut”. -
Le Centre administratif de Pantin (1972, par Jacques Kalisz) :
Édifice colossal, il reflète la volonté d’une esthétique puissante, sans ornement.
Architecture brutaliste à Paris :
- Nous pouvons évoquer certains bâtiments universitaires, ou encore la Bibliothèque nationale de France (site Tolbiac) dont la phase initiale comporte des aspects bruts.
- Plusieurs parkings et équipements sportifs sont aussi marqués par le brutalisme, bien qu’ils passent parfois inaperçus tant ils se confondent avec le décor urbain.
Une incursion dans l’univers du design : la chaise brutaliste
Cette esthétique a influencé bien plus que le monde du bâtiment. Vous êtes peut-être tombé(e) un jour sur un objet minimaliste, aux formes robustes, et vous vous êtes demandé : « Qu’est-ce qu’une chaise brutaliste ? » Il s’agit souvent d’un siège réalisé en bois brut ou en béton lissé, dépourvu de fioritures et visant l’essentiel. De la même manière qu’on parle de « Brutalisme design », certains architectes intérieurs reprennent ces codes pour concevoir du mobilier qui mise sur la forme pure et la texture.
Dans les tendances contemporaines, cette sobriété attire :
- Pas de détails superflus,
- Des lignes droites,
- Un usage honnête des matériaux (chêne massif, métal brut, etc.).
Regain d’intérêt pour l’Architecture Brutaliste : entre préservation et nouveau souffle
Il y a quelques années, beaucoup de ces édifices ont fait l’objet de critiques virulentes. Pourtant, on observe aujourd’hui un certain retour en grâce.
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Nostalgie et patrimonialisation
Les constructions brutalistes représentent souvent l’après-guerre, une période d’optimisme et d’innovations. Les défendre revient à préserver un morceau d’histoire. -
Écologie et réhabilitation
Au lieu de détruire des ensembles entiers, certains projets de rénovation misent sur l’adaptation de la trame existante. Cela demande parfois de gros efforts techniques, mais l’empreinte carbone diminue. -
Redéfinition esthétique
Dans un monde saturé d’images, ces volumes singuliers créent un choc visuel. Nombre de photographes et créateurs y voient une beauté brute, intemporelle.
Sources :
Banham, R. (1955). The New Brutalism. Architectural Review, (708), 355‑361.
Banham, R. (1966). The New Brutalism: Ethic or Aesthetic? The Architectural Press.
Colomina, B. (2017). Brutalism and War. In Deutsches Architekturmuseum & Wüstenrot Stiftung (Eds.), Brutalism: Contributions to the International Symposium in Berlin 2012 (pp. 16‑29). Park Books.
Dubois-Thébaud, G. (2020). Brutalisme, entre théorie et pratique : la théorie brutaliste au regard de la production de Buenos Aires [Mémoire de master, École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux]. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03255125v1
Elser, O., Cachola Schmal, P., & Kurz, P. (Eds.). (2017). SOS Brutalism: A Global Survey. Park Books.
Frampton, K. (1980). Modern Architecture: A Critical History. Thames & Hudson.
Le Corbusier. (1924/2014). Vers une architecture. Flammarion. (Édition originale 1924)
May, K. (Ed.). (2013). Brutalism. CLOG.
Quennoz, F. (2020). Brutalisme : Mouvement architectural du 20e siècle. Éditions à la Carte. ISBN 978-2-88924-359-4
Smithson, A., & Smithson, P. (1953). House in Soho. Architectural Design, 23(12), 342.
Smithson, A., & Smithson, P. (1957). The New Brutalism: Alison and Peter Smithson answer the criticisms. Architectural Design, 27(4), 113.
Toonen, E. (2024, 28 février). Perfect prompts: 10 tips for AI-driven SEO content creation. [Article de blog].
Zehrfuss, B. (1955). [Mention du brutalisme en France dans le contexte de la Reconstruction]. [Archives de la Société Centrale des Architectes].
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