Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Cette question, simple en apparence, a suscité depuis l’Antiquité d’innombrables débats philosophiques et esthétiques. Au fil des siècles, la définition d’une œuvre d’art n’a cessé de se réinventer, au gré des évolutions culturelles, économiques et législatives. Aujourd’hui encore, l’art continue de se transformer, s’ouvrant à de nouveaux médiums – photographie, installation, performance, art numérique. Dans cet article, nous allons explorer en détail la notion d’œuvre d’art, depuis ses origines antiques jusqu’à ses enjeux contemporains, en passant par les approches philosophiques, légales et sociétales.

Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Les bases d’une définition

Une œuvre d’art est un objet ou une production artistique reconnue comme tel par une communauté (critiques, musées, artistes, public). Bien souvent, elle se distingue :

  • Par sa qualité esthétique (harmonie des formes, couleurs, composition…).
  • Par la singularité de la démarche de l’artiste (intention, originalité, expression).
  • Par sa capacité à éveiller l’émotion, la réflexion ou l’admiration.
la Joconde - Musée du Louvre

Cependant, aucune définition ne fait unanimité. Par exemple, Platon considérait que l’art n’était qu’une mimesis (imitation), tandis que pour d’autres, comme Kant, l’œuvre d’art doit provoquer un « désintéressement esthétique » chez le spectateur, lui permettant d’apprécier la beauté pour elle-même. De nos jours, on constate aussi à quel point la dimension institutionnelle (musées, galeries, marché de l’art) joue un rôle dans la reconnaissance officielle d’une création en tant qu’œuvre d’art.

auge en pierre pour fontaines

Histoire de la notion d’« œuvre d’art »

Antiquité grecque et romaine

Dans la Grèce antique, l’idée de l’art se confondait souvent avec la notion de techne (τέχνη), un terme beaucoup plus large qui regroupait toutes les formes de savoir-faire artisanal. Les sculpteurs et peintres étaient considérés comme des artisans talentueux. Avec Platon et Aristote, l’art devient un objet de réflexion philosophique, notamment à travers la question de la mimesis : l’artiste imite-t-il la réalité ou la transcende-t-il ?

amateur d'art qui s'interroge devant un tableau de Vincent Van Gogh

Renaissance et Beaux-Arts

Au Moyen Âge et à la Renaissance, la religion commande la majeure partie de la production artistique : les peintres et sculpteurs illustrent des scènes sacrées, valorisant la narration religieuse. Progressivement, la notion de Beaux-Artsémerge : peinture, sculpture, architecture, musique, poésie se démarquent des arts dits « mineurs » ou appliqués. Cette hiérarchie (largement héritée du XVIIIe siècle) influencera longtemps la définition de ce qui est ou non une œuvre d’art.

Le bouleversement moderne et contemporain 

Au XIXe siècle, l’art évolue vers de nouveaux courants (romantisme, réalisme, impressionnisme). La photographie fait son apparition et oblige les peintres à revoir leur fonction (ne plus simplement représenter le réel, mais exprimer une vision personnelle). Au XXe siècle, l’essor de l’art abstrait, du ready-made (avec Marcel Duchamp), et de l’art conceptuel (Joseph Kosuth, Yves Klein, etc.) fait exploser les cadres habituels de l’œuvre d’art. Tout objet ou idée peut potentiellement être considéré comme de l’art, pour peu que l’artiste et l’institution légitiment cette démarche.

Les grandes approches philosophiques de l’« œuvre d’art »

Depuis la philosophie antique jusqu’à l’esthétique contemporaine, plusieurs théories majeures tentent d’expliquer ce qui fait qu’un objet devient une œuvre d’art.

Représentation ou mimesis : hérité de Platon, l’art est vu comme une copie plus ou moins fidèle du réel.

Formalisme : selon Clive Bell ou Roger Fry, l’essence de l’art réside dans la forme (lignes, couleurs, agencement) plutôt que dans la représentation.

Expression : pour Tolstoï ou Collingwood, l’art exprime les émotions de l’artiste et suscite un écho chez le spectateur.

Institutionnalisme : George Dickie et Arthur Danto soutiennent que l’œuvre d’art est reconnue comme telle par les acteurs de l’Artworld (musées, experts, galeries).

Déconstruction et postmodernisme : Jacques Derrida, Michel Foucault ou Gilles Deleuze mettent en évidence le rôle du discours, du contexte et de la subjectivité dans la perception de l’art.

Au XXIe siècle, ces approches coexistent et se chevauchent, reflétant la complexité grandissante de la création artistique.

qu'est-ce qu'une oeuvre d'art ?

La législation sur la définition des oeuvres d’art en France

Sur le plan légal, la France encadre la définition fiscale de l’œuvre d’art via l’article 98 A du Code général des impôts. Cette classification a des conséquences pour la TVA, la douane ou l’assurance, et détermine si une création peut être considérée légalement comme une œuvre d’art original.

la législation qui régit la définition d'une oeuvre d'art en France

Voici quelques critères clés mentionnés dans la loi :

  • Peintures et dessins : entièrement exécutés à la main.
  • Gravures, estampes, lithographies : tirées en nombre limité, réalisées par l’artiste.
  • Sculptures : productions originales, tirage limité à huit exemplaires.
  • Photographies : prises par l’artiste, tirées et signées par lui ou sous son contrôle, numérotées (limite de 30 exemplaires).

Ces critères légaux ne couvrent pas forcément la dimension philosophique ou artistique, mais ils sont essentiels pour la classification officielle et la fiscalité d’une œuvre d’art.

Évolutions contemporaines : art conceptuel, art numérique et installations

L’avènement de la société de l’information et du digital a permis l’émergence de nouvelles formes artistiques :

  • Art conceptuel : l’idée prime sur la forme finale (Joseph Kosuth, Lawrence Weiner).
  • Art numérique : créations virtuelles, animations 3D, NFT, réalité virtuelle.
  • Performances et installations : Nam June Paik et la vidéo, Marina Abramović et l’art corporel, etc.
la législation qui régit la définition d'une oeuvre d'art en France

Ces pratiques élargissent encore la définition de l’œuvre d’art, qui n’est plus forcément un objet matériel, mais peut être un protocole, un événement, une expérience ou un fichier numérique. Aujourd’hui, la reconnaissance institutionnelle se poursuit dans des musées spécialisés, des biennales d’art contemporain ou des plateformes en ligne.

Pourquoi les œuvres d’art sont-elles essentielles ?

Valeur éducative et culturelle

Les œuvres d’art servent souvent de support pédagogique pour comprendre l’histoire, la philosophie, la géographie ou la sociologie. De plus, elles permettent de se familiariser avec des mythes, des symboles ou des idéologies. Par exemple, le tableau Guernica de Picasso illustre la violence de la guerre, véhiculant un message anti-guerre universel.

Impact social et émotionnel

Une œuvre d’art peut provoquer des émotions fortes, susciter le débat et parfois même influencer l’opinion publique. Ainsi, certaines expositions engagées ou performances artistiques ont contribué à éveiller les consciences sur des questions de justice sociale, de droits humains ou d’écologie. L’art permet de partager des valeurs, de construire ou de déconstruire des identités.

Valeur économique et marché de l’art

Le marché de l’art génère aujourd’hui des sommes colossales. Les ventes aux enchères records (tableaux de Van Gogh, sculptures de Giacometti, etc.) témoignent de la valeur financière que l’on accorde à certaines œuvres d’art. Derrière ces montants astronomiques, se cache souvent la spéculation, mais aussi la quête de prestige et la volonté de constituer des collections patrimoniales.

Exemples concrets et artistes marquants

Van Gogh, l’expression et la couleur

Les peintures de Vincent Van Gogh (1853–1890) – par exemple La Nuit étoilée ou Les Tournesols – sont devenues emblématiques de la force expressive de l’art. À son époque, il était méconnu et ignoré du marché de l’art. Aujourd’hui, ses toiles atteignent des records en ventes aux enchères, illustrant comment la reconnaissance d’une œuvre d’art peut changer radicalement au fil du temps.

Marcel Duchamp et le ready-made 

Avec sa Fontaine (1917) ou son Porte-bouteilles (1914), Marcel Duchamp a révolutionné la notion d’œuvre d’art. Un simple urinoir signé “R. Mutt” est exposé comme une sculpture. Cette démarche, à la fois provocante et conceptuelle, montre que le contexte et la déclaration de l’artiste peuvent suffire à faire basculer un objet banal dans le champ de l’art.

Jean-Baptiste Carpeaux et la sculpture

Au XIXe siècle, Jean-Baptiste Carpeaux (1827–1875) crée Figaro ou La Danse, mariant virtuosité technique et expressivité. Ses bronzes sont reconnus comme des œuvres d’art à part entière selon les critères du Code général des impôts (fonte en tirage limité, signature de l’artiste). Cette reconnaissance officielle se double d’un fort intérêt historique et esthétique.

Nam June Paik, pionnier de la vidéo

Au XXe siècle, Nam June Paik (1932–2006) utilise la télévision et la vidéo pour créer des installations interactives. Son travail Electronic Superhighway (1995) préfigure l’ère numérique. Il prouve que l’art peut s’exprimer par des moyens technologiques récents et pourtant, être jugé « œuvre d’art » par la critique et les musées, à l’instar du Smithsonian American Art Museum.

L’œuvre d’art est un concept complexe, à la frontière entre définition esthétique, reconnaissance institutionnelle, dimension juridique et perception subjective. Qu’il s’agisse de la peinture d’un maître ancien, du ready-made provocant, d’une sculpture en bronze, d’une installation multimédia ou d’un NFT, l’art ne cesse de repousser les limites de notre regard. Comprendre comment se construit la notion d’œuvre d’art nous aide à mieux saisir la richesse et la diversité des expressions artistiques.

Sources :

Aristote. (1996). Poétique (M. Heath, trad.). London & New York : Penguin Books. (Œuvre originale composée vers 335 av. J.-C.)

Benjamin, W. (2007). The Work of Art in the Age of Mechanical Reproduction. Dans Illuminations (H. Zohn, trad., pp. 217–252). New York : Schocken. (Texte original de 1935)

Bourdieu, P. (1996). La Distinction : Critique sociale du jugement (R. Nice, trad. en anglais). Cambridge, MA : Harvard University Press. (Œuvre originale publiée en 1979)

Code général des impôts. (n.d.). (Art. 98 A, Annexe III).
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006307489

Collingwood, R. G. (2013). The Principles of Art. Londres : Case Press. (Éd. originale : 1938)

Danto, A. C. (1964). The Artworld. The Journal of Philosophy, 61(19), 571–584.
https://doi.org/10.2307/2022937

Dickie, G. (1964). The Myth of the Aesthetic Attitude. American Philosophical Quarterly, 1(1), 56–65.
http://www.jstor.org/stable/20009185

Dickie, G. (1974). Qu’est-ce que l’art ? Une analyse institutionnelle. Dans Art and the Aesthetic: An Institutional Analysis(pp. 19–52). Ithaca, NY : Cornell University Press.

Greenberg, C. (2002a). Avant-Garde and Kitsch. Dans C. Harrison & P. Wood (Éds.), Art in Theory 1900–2000 : An Anthology of Changing Ideas (pp. 539–549). Malden, MA : Blackwell. (Article original publié en 1939)
Greenberg, C. (2002b). Modernist Painting. Dans C. Harrison & P. Wood (Éds.), Art in Theory 1900–2000 (pp. 773–779). Malden, MA : Blackwell. (Texte original publié en 1960)

Kant, I. (2000). Critique de la faculté de juger (P. Guyer & E. Matthews, trad.). Cambridge : Cambridge University Press. (Éd. originale : 1790)

Kosuth, J. ([1969] 1991). Art after Philosophy. Dans Art after Philosophy and After : Collected Writings, 1966–1990 (pp. 13–32). Cambridge, MA : MIT Press.

Platon. (1974). La République (D. Lee, trad.). Harmondsworth : Penguin Books. (Texte original composé vers 380 av. J.-C.)

Tolstoï, L. (1995). Qu’est-ce que l’art ? (extraits) (R. Pevear & L. Volokhonsky, trad.). Londres : Penguin Classics. (Texte original publié en 1896)

 

2 Commentaires

  1. René

    Vous soulignez que l’œuvre d’art est avant tout un moyen d’expression de l’artiste. Je suis d’accord, mais ne pourrait-on pas également dire que son rôle est défini par le regard du spectateur ? Une œuvre ne devient-elle véritablement ‘art’ que lorsqu’elle provoque une émotion ou un questionnement, peu importe l’intention initiale de l’artiste ?

    Réponse
    • Vivre Sa Région

      Bonjour René,

      Effectivement une oeuvre d’art prend peut-être tout son sens dans le regard du spectateur…

      Notre approche consistait toutefois à donner quelques conseils permettant de mieux appréhender une oeuvre.

      Au plaisir de vous lire

      L’équipe Vivre Sa Région

      Réponse

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